Infolettre #16
Dans le but d’informer et de divertir son fidèle lectorat sans faire trop d’efforts, Ta Mère a décidé de sous-traiter son infolettre à ses autrices, auteurs, créateurs et créatrices. Aujourd’hui, Timothée-William Lapointe et Baron Marc-André Lévesque ont concocté un antépoème à leur recueil Verdunland…
En haut du métro Verdun
au matin le soleil
se caramélise comme une dent en or.
Un nuage passe son tour
et un tapis d’ombre tombe sur les trottoirs
le petit change garde collé au creux de ses joues
le casse-gueule jauni des étoiles
pendant que le vent
jamais content
jamais ravi
joue avec les postes de la rosée
le poème comme la journée
prend son temps pour commencer.
Les rues sont vides
sont toujours vides c’est à croire
qu’elles sont ploguées sur rien
et chaque fois c’est dans le même décor
le même formol de bâtisses brunes
qu’arrive au travail
avec sa petite boîte à lunch en fer
avec sa petite cloche sous le bras
son petit costume voyant rouge et jaune
le héraut de Verdunland.
Il arrive et déplie sa chaise
ses longs sourcils devant la mairie
et comme hier il vient attendre
des nouvelles qui méritent d’être criées
sur la place publique
et comme hier il vient attendre
des nouvelles qui ne viendront pas.
Parce que Verdunland
et les gens qui y vivent
ne font pas dans le factuel
on n’en parle pas
on passe volontiers à côté
sur des trottoirs parallèles
pendant que le héraut de Verdunland attend
s’endort d’impatience et finit parfois
entre deux parenthèses de roupille
par papillonner parmi fontaines et fantômes
et offrir en murmures
des fausses rumeurs douces à croquer
des rumeurs de grands événements
qui feront un jour sinon la une
à tout le moins la deux.
Sauf que ce matin-là
assis sur sa chaise le héraut voit
le destin arriver en ville
et venir ouvrir de sa main croche une porte
haute de trois pommes et quart :
un enfant oracle enjambe le cadre
et marche jusqu’à lui
lui tend une feuille mobile
remplie d’un essaim de gribouilles
et ébaubi le héraut la lit
la relit et de haut en bas
le fond de sa tête souffle sur ses yeux
sa petite cloche se fait aller toute seule
commence à varloper l’air les couleurs
passent du tiède au chaud
soudain ça sent
l’information la nouvelle le scoop la dépêche
des têtes se mettent à pousser aux fenêtres
pour voir ce qui se trame se conspire
avec tant d’enthousiasme
la rumeur traverse Verdunland les trottoirs
replient leurs coins d’oreilles pour écouter
le héraut qui danse devant la mairie
le héraut qui crie tellement fort
que son cri en pète les jaunes d’œufs
des assiettes à déjeuner :
« QU’ON INFORME LES GUIDES
QU’ON ENCLENCHE LES PRÉPARATIFS
QU’ON HUILE LE PARC MOBILE
QU’ON CRINQUE LE VOLCAN DE L’ÎLE DES SŒURS
QU’ON DÉPOUSSIÈRE L’ANTIQUAIRE FOLKLORIQUE
QU’ON ENRAGE L’OGRESSE
QU’ON STATIONNE UNE SATURN
SUR LE ROLLER COASTER DERBY
QU’ON RÉVEILLE LA BABOUNE DE GÜNTER
LE BLUES DES ROBOTS DE L’ÎLE ROCK
QU’ON METTE DE LA MOUSSE DANS L’ATOMISEUR
DES GUILI-GUILI DANS SES DOIGTS
TOUT LE MONDE C’EST OFFICIEL
C’EST SUR PAPIER :
IL VA Y AVOIR UNE VISITE ! »