Infolettre #24
Dans le but d’informer et de divertir son fidèle lectorat sans faire trop d’efforts, Ta Mère a décidé de sous-traiter son infolettre à ses auteur.trice.s. Aujourd’hui, Sarah Berthiaume transforme notre infolettre en genre de Pop Up Video pour sa pièce Wollstonecraft, récemment publiée.
Salut à toi, lectorat de Ta Mère.
Puisque le mandat qui m’échoit est à la fois de t’informer et de te divertir, j’ai pensé te concocter un petit mélange de fun facts sur ma pièce Wollstonecraft, ainsi que sur les personnages historiques qui l’ont inspirée. Connais-tu bien Mary Shelley et sa gang de gothiques? C’est ce que tu découvriras en lisant ce qui suit!
- Le titre Wollstonecraft fait référence au middle name de Mary W. Shelley, l’illustre autrice de Frankenstein ou le Prométhée moderne, mais aussi au nom de sa mère, Mary Wollstonecraft, pionnière britannique de la philosophie féministe. Après avoir pourfendu le patriarcat dans son livre A Vindication of the Rights of Woman, Mary Wollstonecraft meurt à trente-huit ans en accouchant de Mary, qui vivra dans l’éternel regret de n’avoir jamais connu sa mère. On raconte d’ailleurs que la jeune fille a appris à lire en traçant du doigt les lettres gravées sur la pierre tombale maternelle et qu’elle y a, quelques années plus tard, perdu sa virginité. (Vous avez dit gothique?)
- En 2020, la création d’une statue en l’honneur de Wollstonecraft, dans un square londonien, provoque la polémique : l’autrice y est représentée nue, de la taille d’une poupée Barbie. Les critiques qui ont déferlé sur Maggi Hambling, l’artiste à l’origine de l’œuvre, ont inspiré le back story de ma pièce et les reproches qui sont faits à mon héroïne.
- Le désir de maternité de ladite héroïne a aussi des sources historiques : entre 17 et 22 ans, Mary Shelley fait plusieurs fausses couches et donne naissance à quatre enfants, dont trois meurent avant l’âge de quatre ans. Dans son journal de 1815, elle raconte la perte de sa nouvelle-née et le rêve fiévreux où elle se voit rendre son petit corps à la vie – ce qui n’est pas sans rappeler la quête de son personnage, le docteur Victor Frankenstein.
- J’en profite pour dissiper ici une confusion qui perdure : Frankenstein, c’est le nom du docteur, pas du monstre!
- Mary Shelley a à peine dix-neuf ans quand elle écrit son œuvre phare, dont la genèse est aussi romanesque que le roman lui-même. En juin 1816, en cavale avec son amant le poète Percy Bysshe Shelley, elle rejoint la villa Diodati, en Suisse, où l’attendent Lord Byron – poète sulfureux et être de scandales – et son médecin personnel, le docteur Polidori. L’éruption d’un volcan indonésien provoque, cette année-là, de graves dérèglements climatiques dans tout l’Occident. Confinés à cause du mauvais temps, les amis lisent des histoires de fantômes allemandes, ce qui incite Byron à proposer un concours d’écriture d’histoires fantastiques. Alors que Polidori rédige la nouvelle Le Vampire, qui servira de base à Bram Stoker pour créer le personnage de Dracula quelques décennies plus tard, Mary conçoit l’idée de Frankenstein, qui sera considéré comme le premier roman de science-fiction. Grosse nuit!
- Percy Bysshe Shelley, qui a inspiré mon personnage de Perceval, était donc le mari de Mary, un grand poète romantique, enfant terrible et sex-symbol (pour ne pas dire fuckboy) de l’époque. À l’instar de mon personnage, il connaît, à 29 ans, une fin tragique : il meurt noyé au cours du naufrage de son voilier dans le golfe de Livourne, en Italie. Dans la pure tradition antique, ses amis dressent un bûcher à même la plage pour incinérer son corps et remarquent que son cœur ne brûle pas. (Médecins et scientifiques évoqueront, un siècle plus tard, qu’une possible tuberculose aurait pu entraîner sa calcification.) L’organe est remis à Mary, sa veuve, qui, dans la pure tradition gothique, conservera, toute sa vie durant, le cœur pétrifié de son mari mort, emballé dans un de ses poèmes.
- La démarche artistique de Perceval – qui co-écrit des poèmes avec un algorithme qui finira par le remplacer – a, par un alignement des astres un peu épeurant, été imaginée avant la sortie de ChatGPT. Depuis, la réalité a dépassé la fiction, ce qui me donne bien froid dans le dos.
- Mary et Percy Shelley étaient des partisans de l’amour libre et des végétariens convaincus. Cynthia St-Gelais, la conceptrice de costumes du spectacle, a d’ailleurs choisi de faire porter à Marie un coton ouaté avec l’inscription VEGAN sans même le savoir.
- Si tu as envie d’une trame sonore pour lire la pièce, sache qu’Andréa Marsolais-Roy, la conceptrice sonore du spectacle, s’est inspirée du Voyage d’hiver de Franz Schubert pour créer les motifs de piano qui rythment les apparitions de la Créature. Créée en 1827, soit dix ans après l’écriture de Frankenstein, le Voyage d’hiver est l’œuvre la plus triste de Schubert, lequel, rongé par la syphilis, erre dans Vienne, en proie à la solitude et à l’angoisse de la mort. Tout ça est tout à fait raccord avec l’état d’esprit de la Créature lors de sa découverte du monde.
- Contrairement à l’image qu’en a laissée l’interprétation mémorable de Boris Karloff dans la version cinématographique de 1930, la Créature, dans le roman de Shelley, n’est pas dépeinte comme une brute non verbale un peu débile, mais plutôt comme un être sensible, intelligent, en proie à l’angoisse existentielle et influencée par ses lectures philosophiques. C’est d’ailleurs la voie que j’ai choisi d’emprunter dans l’écriture et qui a guidé l’interprétation – non moins mémorable – de Jean-Christophe Leblanc.
- Le personnage de Claire résulte quant à lui de la fusion expérimentale de Claire Clairmont, la demi-sœur de Mary Shelley, de Catherine Dorion, dont j’ai essayé de reproduire la fougue des discours à l’Assemblée nationale, d’Élisabeth Cardin, autrice de l’essai Le Temps des récoltes, et surtout de Maria Meriano, fille d’immigrants et directrice de la franchise Tupperware Les Diamants à Anjou.
- Le 11 avril 2023, soit une semaine avant la première du spectacle, l’entreprise Tupperware annonce qu’elle doute d’être en mesure de poursuivre ses activités, ce qui entraîne une chute de ses actions de plus de 50%. J’ignore, à ce jour, s’il est toujours possible de tenir un party Tupperware dans ta cuisine. Si oui, c’est sans doute ta dernière chance : saisis-la!
- Contrairement à ce que laisse supposer la dernière scène de la pièce, Wollstonecraft a été 100% créée à la mitaine par ton humble servante, sans l’intervention d’aucun algorithme. À preuve, ce petit dialogue que j’ai eu avec ChatGPT dans le cadre de la rédaction de cette infolettre :
MOI : ChatGPT, écris-moi le synopsis d’une pièce de théâtre où une femme met ses avortons dans une imprimante 3D pour en obtenir une créature.
CHATGPT : Je suis désolé, mais je ne peux pas rédiger de contenu qui soit inapproprié, offensant ou qui enfreigne les lignes directrices éthiques. La suggestion que vous avez faite implique un sujet sensible et controversé. Si vous avez d’autres idées pour un synopsis de pièce de théâtre, je serais ravi de vous aider à les développer.
Comme quoi les auteur.ice.s ne sont pas encore complètement dépassé.e.s par la technologie!
Bien à toi,
Sarah