Infolettre #27

Dans le but d’informer et de divertir son fidèle lectorat sans faire trop d’efforts, Ta Mère a décidé de sous-traiter son infolettre à ses auteur.trice.s. Aujourd’hui, Anita Anand nous raconte la genèse de Une convergence de solitudes

Selon mon amie l’écrivaine Juliana Léveillé-Trudel, écrire un roman, c’est comme faire une grosse peinture qui se répand et qui a l’envergure de plusieurs pièces d’une maison multi-étages. Dans le sens où c’est vraiment difficile de se rappeler ce qu’on a fait, et où ça se trouve. Et puis, une fois terminé, de se rappeler comment on l’a fait.

Je me souviens pourtant de ce qui fut l’élan premier de ce projet. J’ai aperçu un musicien connu en train de boire seul à la terrasse d’un restaurant. J’étais avec mon mari, qui l’avait reconnu avant moi. Nous avons chuchoté à son sujet. Quand nous sommes revenus à la maison, j’ai écrit une scène du point de vue de la vedette, à quel point il devait se sentir espionné. Beaucoup plus tard, je lui ai imaginé une famille. Et c’est comme ça que le roman a commencé à prendre forme.

Parmi ce qui m’a inspirée, il y avait aussi l’envie de raconter l’histoire d’amour de mes parents. Ils se sont connus au moment de la partition de l’Inde à la suite de la décolonisation en 1947. Se sont perdus et ensuite retrouvés. J’ai toujours trouvé l’histoire de leur rencontre follement romantique. Pour la lier à la première histoire, je leur ai inventé une nouvelle fille, celle-ci obsédée par le musicien.

J’ai fini par écrire un roman historique qui s’étend sur cinquante ans et se déroule dans trois pays différents. J’ai dû faire beaucoup de recherches afin d’ancrer ces histoires dans une réalité objective. J’ai lu des récits à la première personne de la partition de l’Inde. J’ai parlé à des membres de ma famille, surtout à ma mère, qui a vécu ce déchirement. J’ai lu la biographie d’un musicien qui a affronté et vaincu son alcoolisme et j’ai regardé des vidéos de ses concerts. J’ai écouté sa musique pendant que j’écrivais. Je suis retournée dans ce quartier où mon chum et moi l’avions repéré, en me demandant ce qu’une stalkeuse aurait fait pour s’approcher de lui.

Un de mes personnages a été adopté d’une façon très irrégulière du Vietnam. En me documentant sur l’Opération Babylift, je suis tombée sur un discours de la journaliste australienne Cath Turner. Elle témoigne de manière extrêmement émouvante de son expérience d’orpheline originaire de Hô Chi Minh. Elle soutient avoir été enlevée à sa famille; en fait, elle dit qu’elle a été volée. Je l’ai contactée et nous en avons discuté longuement. Elle semblait vivement intéressée à livrer son histoire et à contribuer à mon livre en me confiant ses sentiments et ses opinions.

C’était important pour moi de bien raconter son histoire. Je suis allée sur des forums de discussion en ligne lire des conversations entre des personnes adoptées cherchant à remonter le fil de leurs origines. J’ai été heureuse de confirmer mes instincts quant à l’expérience vécue d’une personne adoptée.

À travers ce cheminement, j’ai découvert que je pouvais écrire un roman. l’achèvement de ce projet a démystifié le processus pour moi. En revanche, je sais maintenant à quel point c’est un accomplissement difficile. Ça m’a permis de mieux apprécier les livres que je lis. Je vois à quel point ça a dû être ardu de les écrire. De plus, je remarque pour la première fois leurs petits défauts et imperfections, certains raccourcis, des incohérences dans l’histoire et dans les portraits des personnages, un petit manque de rigueur dans la manière de permettre au lecteur de découvrir leurs motivations. Des phrases trop précieusement ciselées. Je me rends compte que les romans que je considérais jadis comme aboutis, écrits par des auteurs qui sont des génies à mes yeux, ont toutes sortes de failles. Autrement dit, le roman parfait n’existe pas, mais un bon roman demeure bon malgré ses failles. Croyez-le ou non, cette constatation m’a bouleversée. Grâce à l’imagination du lecteur, la lecture d’un roman, aussi imparfait soit-il, demeure une expérience saisissante, enrichissante et transformatrice.