Infolettre #30
Dans le but d’informer et de divertir son fidèle lectorat sans faire trop d’efforts, Ta Mère a décidé de
sous-traiter son infolettre à ses auteur.trice.s. Cette semaine, Akena Okoko partage avec nous un texte inédit, écrit à l’origine pour son recueil Les cennes noires. On se souvient pu exactement de la raison pour laquelle le texte a été retiré du manuscrit; c’est mystérieux, la création… En tout cas. On l’aime beaucoup!
LES PATRONS
Il n’y a pas seulement les immeubles
Qui ont des propriétaires
Les rues aussi ont leurs propriétaires
Toutes les rues
Que nous avons habitées en ville
Étaient surveillées par un patron
Qui ne se tient jamais loin de son profit
Entre le dépanneur et son bureau
Son bureau était habituellement
Un endroit précis sur le trottoir
Ou sur les marches
D’une porte peu utilisée
À Montréal sur la rue Sicard par exemple
Qui porte le nom de l’inventeur de la souffleuse
Le patron était en poste si tôt le matin
Qu’il semblait ne pas avoir dormi de la nuit
Peut-être était-ce à cause
Du gallon de Coke qu’il buvait tous les jours ?
L’hiver le froid le soufflait
Vers on ne sait trop où
Puis il reprenait le contrôle de sa rue
D’avril à novembre
Les patrons sont souvent
Des vieux hommes assis
Barbus et grisonnants
Dont on ne pourrait dire
S’ils ont eu une autre vie avant
Sinon une femme debout
À l’intersection
Qui n’a pas revu son enfant
Depuis le gros party du bogue de l’an 2000
Leur regard à la fois profond et effacé
Vous donne l’impression
D’être devant un miroir
Celui de la 2e rue à Limoilou
Était un bizouneur
Qui passait tout son temps à chercher
Du fil électrique à dégainer
Avec des mains d’un autre siècle
Capables de forcer
Pour quelques dollars
Il n’y a pas de pauvreté
Seulement des chemins vers la richesse
Quant à parcourir ce chemin
Les patrons des rues
En sont à essayer une vieille paire de chaussures
Trouvées dans les poubelles
Ce qui est important
Avec une nouvelle vieille paire de chaussures
C’est qu’elles ne soient pas trop petites
Elles peuvent sans problème être trouées
Sales ou trop grandes
Mais pas trop petites
Les gens qui opèrent des grandes compagnies
Se croient importants
À gérer des opérations complexes
Impliquant plusieurs employés
Mais les véritables patrons
Sont dans la rue